Arbre et la Seine derrière la fenêtre, 2016, huile sur toile, 50 x 50 cm

Gilles Seguela


Une peinture rêveuse, sans illusion

« La peinture est une fenêtre ouverte sur le monde », écrivait Alberti au XVe siècle, dans son traité De Pictura : or, de ce propos nous ne retenons le plus souvent que la belle idée d’ouverture sur le monde, en négligeant la mention très concrète de la fenêtre,soit celle du cadre bien rigide formé par la surface de la toile,ce cadre invisible qui non seulement découpe un détail parmi tout ce que l’on voit dehors, en pleine nature ou dans la rue, mais l’écarte, le tient à distance. Puis une fenêtre n’est pas toujours ouverte.Certes, une chose est de peindre un arbre vu à travers une fenêtre, une autre en se tenant à côté, dehors, et, d’une situation à l’autre les impressions et les émotions diffèrent, - pourtant, dans les deux cas, il y a toujours ce cadre qui vient réduire le champs visuel, et qui, en même temps qu’il permet d’isoler le motif, de concentrer l’attention sur lui, fait renoncer à toute idée de fusion avec lui, en lui, comme ont pu le rêver, grâce à la seule force de la couleur, les Fauves ou certains peintres qui, sans être abstraits, se voulaient non-figuratifs. Évident aussi est le fait que les très grands panneaux des Nymphéas de Monet comme, à leur suite, ceux dits all over, de la peinture américaine, suggèrent un dépassement des limites imposées par un cadre et révèlent donc du même rêve.

Rien de tel chez Gilles Seguela, qui ne perd jamais de vue, et souvent rappelle, cette réalité du cadre si opposée à toute illusion et, en un sens, à toute effusion plus ou moins lyrique : tout au contraire, dans ses dessins et tableaux, ce qui frappe toujours au premier abord est un certain éloignement du monde. Ainsi, quand même le motif paraît tout proche, un petit bouquet de fleurs dans un vase, le tronc d’un arbre, il reste étrangement séparé. Assez souvent même, il est vu à travers une fenêtre, triplement encadré donc : par les bords de la toile, par le dormant de la fenêtre et par les croisillons qui en séparent les vitres. Entre l’artiste et ce qu’il peint, une distance irréductible est reconnue et montrée, que l’on peut comprendre de différentes façons : soit comme une volonté de ne pas rester à une impression immédiate, vécue comme illusoire ; soit comme l’effet d’une résistance ou d’une réticence du motif, qui tendrait sans cesse à se dérober à la prise du regard et à toute forme de représentation. Se révélerait ainsi, pour le dire autrement, une sorte d’incompatibilité nouvelle entre le motif « réel » et l’artiste, rompant avec une longue tradition heureuse de la peinture de paysage, dont l’impressionnisme et le succès universel qu’il obtint vite auprès du grand public marquent l’aboutissement. En fait, ces interprétations se rejoignent si l’on admet qu’avec le triomphe de la photographie et après plus d’un siècle d’art abstrait, le motif ne peut plus s’offrir comme jadis, simplement, presque ingénument, et que, pour l’approcher, la méditation et la contemplation seraient donc moins un désir ou un choix qu’une nécessité. On se souvient de Cézanne disant à Émile Bernard : «Or, la nature, pour nous hommes, est plus en profondeur qu’en surface », ou à Vollard, plus douloureusement : «Comprenez un peu, le contour me fuit ». Et sans doute faut-il songer aussi à l’acharnement de Morandi, qui expliquait à Eduardo Roditi que « rien ne peut nous paraître plus irréel ou abstrait que ce que nous voyons de nos propres yeux », et qui, ajoutait-il, « n’existe pas vraiment tel que nous le voyons et le comprenons ».

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