Prix et Expositions
2019, 2021, 2023
GALERIE MERCIER, PARIs
Espace d’exposition au pied du château de Yèvre-le-Châtel
2018
Musée Robert Dubois Corneau, exposition collective « Dessins Contemporains », Brunoy.
Musée d’art et d’histoire, Louis Senlecq, exposition « Sur le Motif », Isle-Adam.
2015
Œuvre sélectionnée pour l’exposition du Prix de Dessin Pierre David-Weill, Palais de l’Institut de France, Paris.
2013
Salon International de l’Estampe et du Dessin, Grand Palais, Paris.
2011
Atelier de Lithographie « A Fleur de Pierre », exposition collective. Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition: « Six + 2 Lithographies », Tome 1 et 2. Imprimé sur les presses de l’Atelier « A fleur de Pierre », en Novembre 2011.
Chiara Gaggiotti
Une œuvre de Chiara Gaggiotti sera présentée au Musée Marmottan Monet, dans le cadre de l’exposition L’Empire du sommeil
du 9 octobre 2025 au 1er mars 2026
D’UN TEMPS SUSPENDU EN PEINTURE
On pourrait croire, à première vue, qu’une grande différence existe, dans les oeuvres de Chiara Gaggiotti, entre celles qui représentent, sous différents angles et une gamme relativement réduite de couleurs, les pièces de l’appartement qu’elle habite à Paris, et celles où l’on peut reconnaître des villes italiennes, le plus souvent Rome, avec la colline du Celio où se trouve la basilique des Quatre-Saints-Couronnés. Même si beaucoup de traits rapprochent à l’évidence le traitement par l’artiste de ces deux sources de motifs – ainsi l’absence de personnages et l’usage de lignes bien droites qui révèle le souci de donner à chaque oeuvre une construction, une architecture aussi solide que claire –, la question se pose du sens de ces passages entre l’intérieur et l’extérieur, et de ce qui peut paraître aujourd’hui comme une sortie, parce que, parmi les oeuvres de Chiara Gaggiotti, ce sont d’abord celles montrant l’appartement de Paris, les plus présentes dans ses premières expositions, qui retenaient toute l’attention par leur rigueur, même si d’autres affrontaient déjà le dehors.
En fait, outre les rapprochements simples relevés, plus étonnant est le fait que ces tableaux peints sur le motif à Rome (ou dans d’autres villes italiennes) ne suscitent pas vraiment l’impression d’un dehors, le sentiment d’un espace ouvert, tel que nombre de paysages dans la peinture ancienne, de Corot et des impressionnistes par exemple, le font naturellement. Et cela tient en partie à ce que les motifs choisis, toujours des bâtiments, sont vus d’assez près, sans éloignement ; en partie à la rigueur des compositions, si nettes qu’elles peuvent parfois paraître presque contraintes, comme si l’artiste, percevant l’infini vide de l’espace, le craignait et voulait s’en défendre en l’exprimant, de sorte que ces tableaux gardent tous un caractère retenu, quasi mystérieux, comme pourrait l’être le décor d’un théâtre dans l’attente du drame ou de la comédie qui va bientôt s’y jouer. Une attente donc, un temps suspendu, un silence particulier, nullement une contemplation rêveuse. Cela étant, il importe d’ajouter que Chiara Gaggiotti ne cherche pas à plaire immédiatement, elle ne cherche jamais à étonner ni ne sollicite l’imaginaire à la façon d’un Chirico, et si elle n’est clairement pas une artiste réaliste, au sens strict, elle reste étroitement attachée à des motifs bien réels. De plus, son travail témoigne d’une gravité et d’un silence (accrus par l’absence de personnages) qui ne se prêtent à aucune fantaisie. En découvrant ces intérieurs de la basilique des Quatre-Saints-Couronnés, que l’artiste peint si déserts, je me remémore par contraste la clarté de l’intérieur de la cathédrale de Sens peinte par Corot, parcourue, elle, par de paisibles promeneurs. Pour Chiara Gaggiotti, l’art semble être, par la rigueur qu’elle s’impose, une manière de se garder, sinon de se défendre, d’un sentiment de dissolution, ou de dispersion, obscurément éprouvé – qui l’amène à percevoir, en-deçà de beautés éparses, que ce monde qui paraît proche est en réalité lointain, jamais familier. S’attachant ainsi, dans les motifs qu’elle retient, à montrer, là où elle cherchait d’abord une assurance, cette étrangeté, cet écart mystérieux, comme pour mieux le circonscrire, en écartant tout ce qui en distrairait la perception, comme le ferait la présence de personnages avec leur allure et leur «histoire». Et sans jamais abuser d’évidentes beautés d’architecture, sans doute parce que, pour l’artiste, la beauté ne saurait circonscrire ce sentiment diffus d’étrangeté. Qui exige une concentration et un silence particuliers. Il faut aussi s’attarder sur deux des principaux caractères de l’art de Chiara Gaggiotti : d’une part, le fait qu’elle ne met pas en évidence son travail de peintre, et que, le plus souvent, on ne distingue pas les touches du pinceau sur la toile, ni ce qui révélerait un dessin préalable ; d’autre part, un contraste sensible entre la rigueur affirmée de la construction des formes et la discrète subtilité du réglage des couleurs. De sorte qu’une fois fixée la composition du tableau selon les lignes claires des murs et des toits, des portes et fenêtres, des longues diagonales de grandes ombres, ... les formes se prêtent à la recherche de nuances et d’équilibres chromatiques qui, souvent presque imperceptibles, porteront seuls la responsabilité de la lumière de l’oeuvre. Un traitement singulier donc, où l’affirmation des formes se conjugue avec la délicatesse des couleurs, quand les unes et l’autre pourraient s’opposer. D’où peut-être aussi un usage très réduit de la perspective, laquelle pourrait, étant trop sensible, « déranger » un tel accord (comme le dérangerait la survenue de personnages). Puis cette autre observation : au lieu de tenter de saisir directement la lumière, comme les Impressionnistes le firent, Chiara Gaggiotti ne veut la retenir que par la couleur, ou, pour le dire autrement : dans ses oeuvres il n’y a pas une lumière qui vient éclairer des couleurs, mais une lumière qui procède toute des couleurs, à ce point qu’il arrive que les bâtiments qu’elle peint paraissent hors du temps, dans une lumière irréellement unie, qui accroît le sentiment de rigueur suscité par les oeuvres. Et quand la lumière s’exprime par de grandes ombres, comme sur tel ou tel mur aveugle ou sur la façade d’une maison de la via Nobili, ces ombres plates dessinent des formes rigoureuses comme celles des bâtiments et de leurs couleurs. Et l’idée vient que l’artiste préfèrera toujours la stabilité et la constance des couleurs à l’instabilité et à l’inconstance de la lumière, comme elle préfère le silence à l’inconstance des bruits, ce qui dit encore son inquiétude devant le motif (rien ne serait donc plus étranger à son art que celui, d’une heureuse confiance, des Impressionnistes). Il est d’ailleurs significatif que Chiara Gaggiotti souligne le fait que, pour elle, ce sont d’abord les couleurs qui composent les oeuvres (1) : qu’elles ne viennent pas s’ajouter aux formes, sur les formes, mais à leur façon les déterminent. Or, ce désir de maîtriser entièrement le motif, de le fixer, de ne pas l’exposer à des variations, conduit presque immanquablement à resserrer sa présence réelle. Il s’agirait ainsi d’une forme de réalisme paradoxal, qui se défie décidément d’une part du réel, et montre que, pour l’artiste, les couleurs s’accordent bien mieux avec les motifs qu’elle aime, disent mieux la solidité de ces constructions, de leurs architectures, que toute lumière par essence promise à changer – et quand dehors cette lumière est si vive, comme elle peut l’être à Rome, qu’elle peut paraître éternelle, l’oeuvre s’attache parfois à la tenir, on l’a dit, avec de grandes ombres, ainsi sur tel ou tel mur aveugle ou sur la façade d’une maison de la via Nobili. Aussi comprend-on que l’eau et le ciel, si pareillement mouvants, ne tiennent qu’une place secondaire dans les oeuvres de l’artiste (et l’on imagine les difficultés qu’elle rencontrerait – qu’elle a sans doute déjà rencontrées ! – en peignant un bord de mer, un fleuve, ou une forêt). Ne retrouve-t-on pas là, chez l’artiste, une inquiétude, sinon une crainte, de voir ce qu’elle aime, ce dont elle veut se saisir, lui échapper, échapper à la peinture ? Une inquiétude qui l’amène à éviter certains motifs et à choisir ceux qu’elle peut tenir à distance, pour mieux maîtriser leurs formes, – quand même, parfois, ils sont très proches, comme dans la série des vues intérieures de la basilique des Quatre-Saints-Couronnés. Des motifs en l’occurrence austères, et dont les formes se prêtent bien à cet éloignement, par leur silence et la vacuité de l’espace qu’ils dessinent. Puis, dans l’art de Chiara Gaggiotti, il y a une façon particulière de ne pas « dominer » ses motifs, de reconnaître et respecter en eux une étrangeté ; aussi bien aucune familiarité ne semble-t-elle possible entre elle et le monde, entre des lieux du monde qu’elle choisit autant pour ce que l’on appelle la beauté, que pour une qualité propre d’étrangeté. D’où encore cette constante absence de figures humaines qui, peinant à se mouvoir dans un espace arrêté et silencieux, y paraîtraient fatalement anecdotiques et secondaires (ce qui ne veut pas dire que Chiara Gaggiotti s’en désintéresserait, elle qui a peint nombre d’autoportraits, mais ceci est une autre histoire). Si bien sûr on ne saurait prévoir comment l’oeuvre de l’artiste évoluera, on sent qu’avec ces sorties dans les rues de Rome, de Ferrare et d’ailleurs – l’appartement parisien en un sens ne suffisant plus –, le risque est davantage pris d’affronter non seulement un autre espace, plus large, plus ouvert, mais aussi une relation renouvelée avec les motifs, peut-être moins prudente, peut-être plus sensible aux variations de la lumière, je ne sais, mais propre à desserrer une contrainte formelle qui ne s’impose pas toujours : une relation plus confiante (et bien sûr plus risquée) avec eux.